“Mademoiselle Julie” fait peau neuve. Thomas Ostermeier nous fait le cadeau d’une réactualisation de la pièce de Strindberg.
A l’occasion de la création, en 2010, de la pièce à Moscou avec les acteurs de la troupe du Théâtre des Nations, le directeur de la Schaubühne de Berlin, Thomas Ostermeier, nous a fait le cadeau d’une réactualisation sans concession du drame de Strindberg via une adaptation en russe de Mademoiselle Julie, d’une modernité radicale, signée par le dramaturge Mikhail Durnenkov.
Avec un décor tout en acier, du sol aux murs et aux éléments des plans de travail, la cuisine où se déroule l’action de la pièce donne le ton d’un univers sans pitié où un simple coup d’éponge a le pouvoir d’effacer les traces de l’expression tourmentée des passions humaines.
Mise au goût du jour dans la Russie des oligarques, la pièce, en changeant de peau, bouscule nombre de nos repères, et ce n’est plus lors de la nuit la plus longue de l’été, celle des feux de la Saint-Jean, mais un soir de réveillon et sous une neige qui ne cesse de tomber, que se déroule le spectacle.
Si Christine, la cuisinière, et son promis, Jean, le chauffeur, campent toujours dans la condition d’un personnel de maison qui n’a guère évolué depuis Strindberg, le personnage de Julie est l’objet d’un lifting aussi cocasse que réussi. Fille d’un nouveau riche de la Russie de Vladimir Poutine, elle hérite, en lieu et place de son canari, d’un adorable chihuahua en forme d’excédent de bagage. Tout comme l’oiseau dans sa cage, l’animal fera finalement figure de bouc émissaire sur l’autel d’une liberté aussi impossible à gagner aujourd’hui qu’elle ne l’était hier.
L’incandescence trash de ce huis clos chauffé à blanc évoque Tennessee Williams, et le trio d’acteurs composé par Chulpan Khamatova, Yevgeny Mironov et Elena Gorina rivalise de talent pour pousser Strindberg dans ses derniers retranchements.
Sur les ruines de la patrie du communisme, cette guerre des sexes sur fond d’impossible retour à la lutte des classes prend soudain des allures de farce cruelle. Une lucidité tranchante qui ne présage rien de bon quant à l’avenir de nos sociétés occidentales.
Mademoiselle Julie d’après August Strindberg, adaptation Mikhail Durnenkov, mise en scène Thomas Ostermeier, en russe surtitré en français. Du 15 au 17 novembre au festival Next de La Rose des Vents de Villeneuve-d’Ascq.