En ouverture du festival Automne en Normandie, on découvre une Mademoiselle Julie montée avec une formidable contemporanéité par Thomas Ostermeier et des acteurs du Théâtre des Nations de Moscou. Un évènement.
Actualiser avec pertinence la pièce de Strindberg, c’est le pari qu’a complètement réussi le metteur en scène Thomas Ostermeier, patron de la Schaubühne de Berlin, dont on connait bien la prédilection pour les héroïnes nordiques désenchantées. Après les Nora et Hedda Gabler d’Ibsen, voici Mademoiselle Julie qui passe sous l’observation impitoyable du maître de la scène berlinoise. Ce –dernier livre à nouveau une lecture décapante du drame bourgeois du XIXe siècle, intelligemment menée dans son principe d’actualisation textuelle et scénique totale grâce à l’adaptation parfaitement solide et cohérente qu’il signe avec le dramaturge Roman Dolzhanskiy. Leur vision contemporaine et acérée donne une force nouvelle à la pièce de Strinberg, scandaleuse à sa création en 1906, ici transposée dans la Russie contemporaine où Mademoiselle Julie est la fille d’un riche oligarque, gâtée par son caste mais sans perspective d’avenir.
Le décor conçu par le fidèle Jan Pappelbaum est relativement minimal et empreint d’un naturalisme jamais gratuit qui convient bien. Christine prépare le dîner dans la cuisine ultramoderne équipée toute en inox, un espace froid bientôt électrisé par l’intrusion de jeunes gens qui s’agitent sur de la musique électro comme dans une boîte de nuit. Ostermeier souffle le chaud et le froid, en installant la pièce dans l’atmosphère frigorifiante d’un réveillon au cours duquel la neige tombe sans discontinuer tandis que les esprits et les passions s’enflamment. Mademoiselle Julie, d’une excentricité infantile et son valet se séduisent et s’affrontent au milieu des cadavres de bouteilles et des détritus d’assiettes en carton et de serpentins flasques. Elle rêve de tout quitter et fuir avec lui, n’a pas de canari piaffant dans ses bagages mais à la place un chihuahua qu’elle emporte au fond d’un sac de voyage prêt pour l’aéroport. Prisonnière de sa cage dorée, elle se retrouve violemment brutalisée et enfermée dans le congélateur. Tout n’est pas d’une grande subtilité mais les enjeux sont clairs et la fin plus ouverte reste funeste.
Ostermeier réutilise des procédés qu’on lui connaît déjà bien comme le plateau tournant et la vidéo plongeante mais tout fonctionne avec une redoutable efficacité. Ses acteurs, Chulpan Khamatova, Yevgeny Mironov et Julia Peresild, de jeunes stars du théâtre des nations de Moscou, sont épatants. Il leur insuffle l’énergie physique, la vivacité ébouriffante et stimulante du théâtre allemand, son goût du désordre et d’un jeu très concret, tendu et explosif. Grâce à eux, Mademoiselle Julie parle, bouscule, émeut encore aujourd’hui.
Dans le cadre du Festival Automne en Normandie. La pièce donnée au Cadran / Scène nationale d’Evreux sera reprise les 15 et 16 novembre 2013 au Festival NEXT à la Rose des vents, Scène nationale Villeneuve d’Ascq.